mardi, décembre 27, 2005

Quand l'habit ne fait pas le moine...

Quand on porte un nom pareil, qu'on en joue et en abuse il faut en avoir un peu dans le gilet comme on dit chez moi. Le problème c'est que Thomas Lélu arrive comme un messie mais que le costume est un peu trop grand pour lui. A sa décharge, je dirais qu’on n’est jamais tout à son aise dans un costard d'emprunt. Est-ce la faute d'un marketing savamment orchestré? Un titre racoleur et énigmatique, une photo de l'auteur prise par Jean-Baptiste Mondino (rien que ça), une barbe de quinze jours faussement négligée (résultat très difficile à obtenir), un quatrième de couv’ annonçant « un univers singulier proche de Tex Avery et des Monty Python », un bandeau "Premier Roman" rognant 1/3 de la couverture comme un alibi à l'achat bref un bien de consommation facile, ludique et conditionné genre 3 en 1.
Et oui, vous me voyez venir, j’en veux beaucoup à Thomas Lélu. Je le jalouse aussi car il m’a dit quelque chose qui ne m’a pas, mais alors pas plu du tout lorsque je suis allée le rencontrer l’autre jour au salon du livre de l’Hôtel de ville.
Je m’avance intriguée vers ce plutôt beau garçon de trois ans mon cadet assis, aurais-je dû m’en alarmer ? à côté de mon ami Marc Lévy. Je l’enjoins timidement à me dédicacer son livre puis l’interroge sur son parcours de romancier débutant.
A-t-il beaucoup attendu avant d’être publié ? A-t-il essuyé de nombreux refus ?
Relevant la tête vers moi, il me lance un regard dans le genre méditation silencieuse au sommet du Mont Blanc qui me met aussitôt mal à l’aise puis me répond du bout des lèvres :
« J’en sais rien. Je ne l’ai envoyé qu’à un seul éditeur et cela a suffit. »
Bah mon gaillard je n’ai pas pu m’empêcher je me suis vue lui répondre :
« Vous êtes un pistonné alors ! »
Je crois que cela ne lui a pas fait plaisir… Du premier coup ! Edité au premier envoi ?! Nous avons donc affaire à un génie. Le marketing n’est présent que pour mieux mettre en valeur cet auteur exceptionnel. Je me plonge dans la lecture de son Jeanne Mass, spirituellement prête à accéder au divin.
Il est de la famille des livres qu’on regrette d’avoir achetés sur un coup de tête, de ceux pour lesquels on voudrait se faire rembourser avec dommage et intérêts.
Une sombre mascarade, de la « littérature » syncopée qui se veut drôle et originale mais qui n’est que du Dominique Noguez réchauffé, du Paul Eluard sous ecstasy, un vrai bad trip. Morceaux choisis :
« J’entre dans la boîte, la salle est totalement enfumée, c’est vraiment trop ouf donc je commence à sourire et je sors deux trois mots en anglais à une fille qui passe près de moi et qui me fait penser à un abat-jour ».
« Nous poussons deux trois personnes qui fument des oinjes et qui nous font des whaou mais on est vachement plus balèzes qu’eux alors no problem pour passer et on arrive à l’entrée où les flics et le SAMU nous attendent, habillés en cosmonaute ».
Est-ce la peine d’en rajouter ?

jeudi, décembre 08, 2005

La France exacte, ou presque...

Il y a quelques jours de cela, notre président recevait à l'Elysées ce que les journaux qualifièrent de "panel représentatif des français" ou plutôt de "France exacte". Certains riaient sous cape de cette France qui possédait en son sein quelques visages bien connus des services de police, du récidiviste notoire à l'aigrefin à temps partiel. On s'en étonne, on s'en emeut mais quoi de plus exacte que la vérité vraie? Le bandit est en droit de se poser autant de questions que le notable. Parce qu'on a tutoyé plus souvent les barreaux de la prison que les barreaux de chaise on ne devrait pas être autorisé à fouler du pied la moquette moelleuse des salons de l'Elysées et à serrer la paluche du grand Jacques?
Ce qui était chouette ce jour là à Matignon s'était justement ce vrai visage de la France même si il était plus près de celui de Madame Toulemonde que de celui de Miss Languedoc-Roussillon.
Un atelier d'écriture c'est un peu la même chose (chaud devant la digression !). On prend un mot, noble et fédérateur (par exemple la "Littérature") et puis on ouvre la porte. Ne sont entrés que ceux pour qui ce mot avait une signification. On referme la porte et là on s'étonne poings sur les hanches de ne pas reconnaitre ses petits. C'est qu'il existe autant de forme d'écrivants que de lettres dans l'alphabet russe.
On vient apprendre à écrire sans pour autant correspondre à un schéma préadmis. L'aspirant écrivain n'est pas ce ténébreux jeune homme aux cheveux longs au regard sombre et torturé qui habite sous les toits où il nourcit des pages et des pages enfievrées. L'aspirant écrivain s'appelle Marie-Laure, Thibault ou Charles-Eric, il a 19, 32 ou 45 ans et vient de milieux sociaux aussi divers que variés. Il vient à l'atelier d'écriture pour s'entendre dire qu'on l'aime, pour répondre à l'attente d'un psychothérapeute dérouté ou ambitieux, pour rencontrer d'autres ermites du stylo bille, pour améliorer son style ou pour carrément devenir écrivain de renom. Les ambitions diverges autant que les visages, autant que les caractères. Laurence est introvertie, peut-être en cure thérapeutique pour apprendre à se "lacher" (un mot a connaitre puisqu'il s'agit du leitmotiv des ateliers d'écriture), Thibault parle, lit, ecrit à 100 à l'heure courant après on ne sait quel hypothétique bonheur, Sarah a eu une enfance triste, sans doute malheureuse alors quand elle écrit, elle dit "merde, fais chier, ta gueule" au moins une fois par atelier afin de montrer qu'elle en a bavé, Charles-Eric est un homme pressé, entre deux mémos sur son palm pilote et trois SMS il arrive à suivre l'atelier et à s'investir histoire de rendre l'affaire un temps soit peu rentable, Annick vit dans une nostalgie débordante qu'elle n'arrive à réfreiner que par des pauses cigarettes qu'elle souhaiterait plus nombreuses etc etc. Et l'homme orchestre dans tout ça? Il s'agit de JC et JC est à l'atelier ce que cerbère est aux enfers. Il garde de main de maitre l'illusion que chacun de nous a un potentiel artistique fabuleux. Ici nul question de se critiquer autrement qu'en disant "ouah on a tous été super fort aujourd'hui!" ou variante "et oui très intéressant, tu devrais le continuer chez toi".
Beaucoup s' accomodent de ces bon sentiments et dodelinent de la tête lorsque JC rembarre les pourfendeurs de mièvreries en disant "Avant d'abattre les montagnes, le sage déplace d'abord les pierres". Voilà comment tourne un atelier d'écriture, celui là même où je vais chaque semaine déblayer quelques cailloux dans l'espoir de déplacer les montagnes de l'anonymat!