vendredi, septembre 22, 2006

Migration d'âme

Lorsque j’étais enfant, un écrivain du nom de Nicolas Bréhal vint élire domicile dans une jolie demeure bourgeoise du centre bourg du petit village où j’habitais.
Grand, ténébreux, le regard noir et douloureux, la bouche suave au sourire baigné de nostalgie, les cheveux crantés, toujours vêtu d’un long pardessus foncé qui lui conférait une élégance d’un autre temps, il faisait honneur aux habitants, sa discrétion convenant bien aux mœurs provinciales. Il a le premier pour moi véhiculé l’image du romancier imprégné par son art. Et je l’ai admiré immédiatement, peut-être même aimé comme une petite fille qui croit voir naître au réel un supposé prince idéal.
En hiver, rentrant de l’école à pieds lourds, je restais parfois à guetter face à cette maison où je l’imaginais emporté par la fièvre de la création. Derrière l’œil de bœuf qui dominait la toiture gris ardoise, j’inventais des cérémonies à la Tolkien, une bougie, un chat ronronnant, une tasse de café, un cendrier, des dictionnaires, des incantations faites à la muse littéraire et je l’enviais. Plus je l’enviais, plus je souhaitais être connue de lui.
Il m’a dédicacé tous ses livres.
J’étais encore trop jeune à l’époque pour les apprécier à leur juste mesure car ils parlaient d’amour, d’infidélité, de désir, des femmes et d’une paix toujours recherchée.
Sa mort, il y a déjà sept ans m’a laissé sans voix.
La belle demeure a été vendue et le village a sombré de nouveau dans la nonchalance anonyme.
« Sonate au clair de lune », « Les corps célestes » et tous ses autres livres sont devenus comme des fantômes dans ma bibliothèques, des reliques que je ne sors de leur rayon qu’avec le respect qu’on a pour les gens disparus que l’on a chéri par le passé.
Et c’est assez troublant pour moi d’avoir quelques années plus tard eu la chance de côtoyer à la faculté, le romancier Philippe Vilain, sosie physique et spirituel de Bréhal qui signe pour cette rentrée, un nouveau roman empreint de la même douceur, de la même vision de l’amour et des femmes que celles que son aîné revendiquait. Réincarnation, relève, métempsycose, hasards d’une vie ? Je suis fière en tout état de cause d’avoir pu approcher, toucher presque du doigt des créateurs qui ont entretenu chez moi le feu de la passion et du respect du verbe.

vendredi, septembre 01, 2006

Rentrée Littéraire : le pépette show

475 romans français viennent marquer cette rentrée littéraire cru 2006. Un cru noyé duquel n'émergeront que les grandes figures classiques et pas nécessairement les meilleures à savoir Christine Angot, Amélie Nothomb, Laurent Gaudé, Florian Zeller etc. Une seule motivation pour ceux là : "Goncourir". Car pour quoi d'autre gaver les libraires, les médias et éventuellement les lecteurs si ce n'est pour avoir l'autorisation de se présenter au Goncourt en novembre prochain? Si l'éditeur n'avait pas cette ambition masquée, penserait-il décemment entrer dans ses frais et envisager des bénéfices en propulsant ses poulains dans une course aussi encombrée et incertaine que celle d'un spermatozoïde en quête de l'ovule à féconder? En partant de l'équation communément admise qu'un lecteur moyen lit environ 23 livres par an, il lui faudrait environ vingt an avant de venir à bout de la rentrée littéraire de cette année. Autant dire que bon nombre d'écrivains vont rester sur le carreau, sacrifier sur l'autel du marketing, piétiner dans cet enfer pavé de bonnes intentions.
Vous allez penser que je crache dans le soupe et que malgré le dégoût que m'inspire cette grande messe (noire), j'aimerais bien être la 476ème plume de cette rentrée.
Désolée, mais vous auriez tort de le croire. Si un jour la chance m'est donnée d'être éditée, j'aimerai bien mieux être publié de manière plus confidentielle en début d'année, voire avant les grandes vacances. Il y a quelque chose de terrifiant à se retrouver entouré de 474 autres auteurs, sans aucun pied d'égalité au départ et sans grand moyen pour se sortir du lot à part le génie et encore! Cela me ferait l'effet d'être un puceau qui ferait sa première expérience dans un gang bang! Un peu dur d'imaginer être à la hauteur de la situation...
De plus, comble du ridicule, cette année c'est un américain Jonathan Littell qui vient manger le pain des français en publiant "Les bienveillantes". Roman écrit directement en français ce qui fait de lui un "goncourisable" de choix d'autant que son roman semble emporter l'adhésion de la presse et du public et que donc il serait et de loin, bien meilleur que toute la soupe aigre servie par nos classiques fut elle faite dans de vieux pots.
Pour ma part, je tirerai cette année mon épingle du jeu en choisissant de dépenser mes petites économies sur deux auteurs : le premier est Philippe Vilain, jeune auteur publié chez Grasset qui nage un peu la brasse coulée en cette rentrée gargantuesque et que j'ai décidé d'aider de ma modeste contribution, pas parce qu'il me parait meilleur que les autres que je n'ai pas lu et dont je ne dirais rien, mais juste parce qu'il était à la Fac à Rouen avec moi et parce que c'est un type sympa. Mon deuxième choix est assez faux cul de ma part puisque je botte en touche avec l'édition du journal de Julien Green "Le grand large du soir". Journal établi un an avant sa mort.
C'est de la rentrée littéraire comme j'aimerai en voir plus souvent!
Au fond, j'aime bien ce grand foutoir, je trouve cela assez distrayant et de toutes les façons l'essentiel est bien qu'on parle de littérature, qu'on s'en divertisse encore, qu'on frétille toujours rien qu'à l'évocation de cette formidable naissance, fut elle gorgonesque.
La critiquer, c'est un peu comme me mettre dans la peau de ces deux vieux briscards de Statler & Waldorf du Muppet Show. J'accuse, je me moque, je crie à l'assassin, je mets des mauvaises notes mais pour rien au monde je céderai ma place au balcon.