mercredi, janvier 24, 2007

Mères d'encre


De la marâtre à la maman toujours la littérature chérira la mère.
Adulées ou détestées, absentes ou étouffantes les écrivains ont trouvé en elles une source intarissable où ils ont trempé une plume bien souvent teintée d’amertume et de regrets.
Peu importe l’age et le poids des années, lorsqu’on parle de sa mère c’est toujours avec le regard impitoyable de l’enfance.
Fut-elle aimante, certains comme Romain Gary dans « La promesse de l’aube » ou Albert Cohen dans « Le livre de ma mère » les décrivent comme de véritables mantes religieuses, coupables d’une relation exclusive, d’un amour cruel car impossible qui les a laissé plus qu’orphelins, plus qu’inconsolables puisqu’ils sont devenus après la disparition de celles-ci, de véritables handicapés du sentiment. Gary constate « il n’est pas bon d’être aimé, si jeune, si tôt. […] Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais.» Quand à Cohen, il dit « c’est le seul faux bonheur qui me reste d’écrire sur elle. […] je reste seul, avec ma ridicule tendresse en chômage […] Elle est morte ».
Tout aussi cruels sont les souvenirs de matrones au cœur sec et à la main leste.
Toutes non pas l’envergure de la Folcoche d’Hervé Bazin ou de la Génitrix de Mauriac mais elles donnent à la littérature du genre une rare intensité. Personnages au charisme stupéfiant, elles phagocytent tout sur leur passage, chargent de maux leurs progénitures ne leur laissant que les mots de la haine pour se décharger à leur tour.
Destructrices d’elles-mêmes par mille défauts d’égoïsme, de narcissisme, elles pensent aimer de la meilleure manière qui soit chez Japrisot par exemple dans « Visages de l’amour et de la haine» où la mère retient de force son fils au sein du foyer, l’écartant de toute existence sociale, le cantonnant à un état de santé malingre faisant de leur relation un jeu de sadisme réciproque ; ou celle-ci chez Julien Green dans « Mont-Cinère » dont la pingrerie amènera l’enfant vers une vie de torture et d’anéantissement.
Les autres, les absentes, sont peut-être de toutes les plus incompréhensibles, les plus terrifiantes, celles qui ont plongé leurs rejetons dans un monde blafard de cruauté tandis que d’autres au même age s’enivraient du doux parfum de l’innocence.
Décédée prématurément dans « Le voile noir » d’Anny Duperey, cette mère vient hanter de son souvenir l’enfant épargnée par la mort et lui fait vivre un cauchemar permanent. Celle du Meursault de Camus l’amènera jusqu’à la peine capitale.
Ces femmes qui abandonnent errent dans les romans comme des sanglots roulant perpétuellement dans la gorge. Facteur d’une haine inextinguible dans « Les bébés de la consigne automatique » de Murakami Ryu, soleil impalpable et fantasque dans « Le rendez-vous » de Justine Levy, elles peuvent aussi n’être qu’une ombre, qu’une passante dédaigneuse comme dans l’« Enfance » de Nathalie Sarraute.
Etre mère aujourd’hui comme hier, icône génératrice de toutes les passions de tous les affres aussi, qui trop embrasse mal étreint qui n’est jamais à la hauteur d’espérances inconnues, haut responsable d’un amour dit maternel, charge d’âme, madone parfois bien empruntée dans ce costume si grand qu’aucun amour ne suffirait à remplir convenablement. Etre maman, une épaule, une main…