jeudi, avril 27, 2006

Paris en bouteille

Cette semaine à l'atelier d'écriture, nous avons abordé une fois de plus le nouveau roman mais cette fois sous le jour de Nathalie Sarraute et de son célèbre ouvrage"Tropismes".
En s'inspirant de cette auteur, nous avons eu la lourde tache de tenter à notre tour de retranscrire ces petits moments de l'existence où, au cours d'une conversation se glisse un mot, une phrase anodine qui vient vous heurter de plein fouet. Vous voilà destabilisé, incapable d'émettre la moindre protestation. Voici en avant première mondiale ma version des faits :
"« Tu dois savoir ça, toi qui n’est pas de Paris ? »
La sentence est tombée. Implacable. Glacée comme un couperet. Sèche et sans bavure. Générant une fugace sensation de fraîcheur dans la nuque si bien décrite par le père Guillotin.
Un souffle frais, disons le tout net, aussi bref qu’une gifle donnée sans élan. Puis, ce petit vent passé, votre tête devient rapidement lourde, si lourde qu’elle en tomberait, viendrait rouler au sol dans un bruit mat puis finirait sa course telle une toupie folle pour s’échouer enfin dans une bassine en zinc assez peu confortable cela va sans dire.
Vous avez beau vous ingénier à libérer de-ci de-là quelques grossières gerbes vermillon mais il est bien trop tard pour esquisser une quelconque désapprobation.
Vitupérer ou contester, là n’est plus la question car comment s’y prend-on lorsque sa tête vient d’être privé de son support ? Et quelle gestuelle de protestation adopter lorsque son corps n’a plus toute sa tête ?
A quoi bon tenir tête lorsque le corps n’y est plus c’est pas la peine d’aller chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien. S’entêter pour finalement devenir la tête de Turc d’une tête à claques, le jeu en vaudrait-il vraiment la chandelle ?
D’autant que cette question posée comme une sentence a disparu de la conversation aussi vite qu’elle y est apparue.
Si au moins un silence compassé avait été judicieusement disposé à la suite de ce point d’interrogation, signifiant là l’attente d’une réponse, mais non ! D’un même souffle votre interlocuteur a rebondi sur votre corps chancelant s’en servant là d’appui, de piédestal.
Si l’occasion vous avait été donnée vous auriez pu d’un ton très solennel répondre que « non, vous ne savez pas » mais alors si vous ne savez pas et qu’en plus vous n’êtes pas de Paris, mais qui êtes vous ?
Un manant, un anarchiste ? Hibernatus ou martien ? Anachorète ou mongolien ?
Et si vous savez, vous qui n’êtes pas de Paris; que se passe t’il alors ?
Se rachète t’on, pour autant que cela soit encore possible ? Vaut-on tout à coup mieux qu’un parisien ou marquons nous là l’attendue différence qui oppose à jamais la tête de chien du parisien à la tête de veau du pèquenaud.
Savoir, c’est avouer. Ignorer, se désavouer.
Peu de place donc pour les techniques d’autodéfense. A la rigueur la feinte bien connue de l’indifférence pourrait-être employée seulement pour se faire, il faudrait encore pouvoir simuler or je vous rappelle que dans votre regard vitreux, là, pale comme une endive dans le fond de votre bassine en zinc, vous ne fait ni illusion ni concurrence aux apprentis comédiens de l’Actor Studio.
A la manière d’un poulet à qui l’on vient de trancher la tête, vous voilà trottinant de droite et de gauche, fuyant l’évidence, refusant obstinément de vous rendre, luttant amèrement contre les lois de l’existence terrestre d’un air goguenard et pathétique.
Comme cette poule émouvante dans sa détresse, vous voilà réduit à un simple état de nerf. Et c’est bien là tout le fond du problème, vos nerfs.
Sans eux, vous n’auriez pas été contraint de rester là en apnée, vous auriez pu réagir convenablement et pour une fois, tenter d’être à la hauteur.
Mais c’est qu’avec une tête en moins on se sent pour le coup bien diminué surtout si en plus, on ne sait pas, et qu’on n’est pas de Paris. Parce qu’au moins à Paris, la question ne se pose pas. D’ailleurs on ne se pose pas de question à Paris ou alors juste comme ça pour vérifier qu’on connaît la réponse ou pour piéger un pigeon voyageur.
Paris ville lumière. Paris, ville des lumières. Comment l’oublier ?
D’autant qu’ailleurs, il fait nuit. On s’y éclaire à la bougie et on se serre les uns aux autres pour se tenir chaud l’hiver.
C’est que chez nous les livres, on les brûle. C’est un combustible pour le corps, pas pour l’esprit.
Bon, voilà votre interlocuteur qui cherche votre regard. Et d’ailleurs vous aussi agenouillé près de la grande bassine en zinc vous voilà cherchant à tâtons ce qui pourrait bien être vous.
Vous enfin ! Pauvre ère tentant de revisser tant bien que mal sa triste figure sur le reste de son anatomie…
Vous clignez des yeux, remuez la bouche, testez vos réflexes accentuant mille mimiques pour désengourdir vos nerfs tant et si bien que votre interlocuteur aussi dubitatif qu’éberlué face à ce visage grimacié, tourne les talons en se disant rasséréné que décidément non, vous n’êtes pas comme tout le monde."

lundi, avril 10, 2006

Atelier d'écriture, deuxième épisode

Voilà désormais six mois que je participe à un atelier d’écriture parisien. Mes premières impressions (voir article du 8 décembre dernier « La France exacte ou presque ») étaient somme toute assez nuancées voire mitigées.
Quoi de neuf depuis ? Après quelques désistements (nous avons eu la tristesse de perdre le très (trop?) incisif Charles-Eric…) notre petit groupe s’est vu progressivement diminué et passer de 13 à 8 participants.Cela n’a pas pour autant ni resserré les liens qui auraient pu nous unir les uns aux autres (sauf quelques rares exceptions) ni densifié les cours.Par contre, je peux maintenant donner très clairement et dans la plus grande impartialité mon avis sur les avantages d’assister à ce type d’atelier et les bonnes raisons qui doivent vous y mener.
Je conseillerais un demi-tour gauche à tous ceux qui pensent que :
- Ecrire s’apprend (en dehors des cours de CP).
- On va vous enseigner les techniques narratives.
- Sans aimer lire on peut aimer écrire.
- Chacun de vos écrits sera sanctionné, corrigé et réorienté.
- Vos atouts de départ vont croître et embellir.
- Vous trouverez des auditeurs attentifs et pertinents.
- Vous allez laisser tomber vos tics d’écriture et vos penchants naturels.
- Assister assidûment aux cours vous prémunit de travailler l’écriture par ailleurs.
Par contre, soyez les bienvenus si vous pensez trouver :
- Un groupe de gens qui auront pour point commun avec vous le goût de l’écrit.
- Un animateur consensuel.
- Des approches diverses et variées de courants littéraires (monologue intérieur, écriture blanche, le surréalisme etc).
- Un ou deux participants toujours avides de vous cataloguer.
- Quelques soirées interminables autour d’une tisane tilleul-verveine à discuter en sous groupe de l’intérêt d’utiliser le passé composé dans l’écriture blanche…
- Une toute petite émulation de groupe.
- Un enrichissement personnel raisonnable et raisonné.
Le seul hic est le tarif. 345 euros le trimestre c’est beaucoup trop cher. Le véritable intérêt réside dans la rencontre avec des personnes intéressantes et dans le fait de se retrouver face à des contraintes d’écriture qu’on ne se serait pas imposé seul.Pour ma part, le fait de devoir plancher sur l’écriture blanche* à été une véritable épreuve. Pour d’autre, cela coulait de source. Même souci sur le monologue intérieur** où j’ai eu beaucoup de mal à déconstruire le récit afin que les phrases se succèdent comme dans l’anarchie d’un raisonnement inconscient.
En voici un exemple avec une partie de mon texte et un que j’ai emprunté à une participante :
« Le plus beau jour de ma vie !! Dommage que le stress… l’heure ? 16h30, inquiétant ? Trente minutes ! Curé passé où ? Mains moites, transpiration, la bague ? Ok poche gauche, poche gauche, quoi d’autre ? Ah oui, le traiteur, dommage cassolette de ris de veau par 35°, je l’avais dit mais comme d’habitude voilà, trop faible trop faible faudra que ça change avant qu’il soit trop tard. Et Véro pas là, est-ce qu’elle va se souvenir de passer directement à la chanson numéro 5, sinon c’est cata, si elle oublie de passer en 5, on arrive directos sur quoi déjà ? Oh non ! Ce ne serait pas la chanson de Boris Vian ? « On n’est pas là pour se faire engueler, on est là pour voir le défilé ! » Défilé tu parles d’un défilé sans cortège ! Et un mariage sans la mariée ça donne quoi ? En même temps ça change… Tiens, c’est quoi ce truc ? L’organiste fait ses gammes, ou alors c’est la marche nuptiale version Olivier Messiaen, si je me retourne je suis bon pour recevoir de plein fouet le regard compassé d’environ 200 personnes, mains moites mains moites, rester digne, surtout rester digne, poche gauche, poche gauche, j’espère qu’il ne lui est rien arrivé bon sang, la pauvre quelle angoisse, c’est quoi cette tache de boue sur le bord de ma godasse, un chien ? Si discrètement je la frotte le long des franges du prie dieu, y a des chances que…d’ici deux secondes le curé va venir me faire des remontrances pour retard sur timing ! Et ce costard qui me moule comme un bas de contention, quelle horreur ! Y aurait que moi, je courrais tout droit vers la sortie, non avant j’irais vider cul sec le vin de messe puis j’irais piquer les sous de la quête et filerais devant les regards médusés de la famille Duchemole au volant de la Mercedes de location sans demander mon reste ! Sous l’effet de la vitesse, les couronnes de fleurs tomberaient les unes derrières les autres dans une pluie de pétales… Ca se fait un jogging blanc pour le vin d’honneur ? Pas le droit d’être à l’aise le plus beau jour de sa vie. »
Pour ce texte, je me suis pris une belle remontrance car j’avais outrepassé mon droit d’aspirant écrivain. J’avais osé écrire au masculin ! Cela n’a pas plu à certains de ces messieurs…
Voici le texte emprunt de poésie fleurie d’une autre participante, avec toujours en contrainte le monologue intérieur :
« Putain, j’ai pas le temps, putain pas le temps, con de clé ! Ah ! Il faut que je ponce la marche. Bon. Pourquoi, ce panneau, se détache toujours quand je suis pressée punaise ! C’est la dernière fois que je loue un meublé. Cintre, manteau, non l’inverse repose le cintre enlève le manteau reprends le cintre range le manteau. Quelle heure est-il ? Oh non ! Bon, qu’est-ce que je fais ? Le chevreuil. La gelée de framboise, douche. Mijoter une heure ? Plus de gel douche ! Oh putain j’ai failli clamser ! Je dois mettre un tapis de bain ça serait con d e m’enfoncer le coin de la baignoire dans la gueule ! Elle va en faire une tête Caro quand elle va le voir ! Ah t’en as jamais eu d’aussi beau dans ton lit hein ?! Pourtant ça a défilé ! Et t’es fière en plus ! Ces jets thalasso quel bonheur, j’ai bien fais de m’offrir ce truc. La vendeuse était une pouffe peroxydée qui mettait pas son produit en valeur genre, achetez ça Hollywood vous ouvrira ses portes…Raaah j’ai de l’eau dans l’oreille. Si il me voyait me tortiller comme ça le julot il ferait demi tour. Il faut pas que j’oublie de ramener le dossier Cariche lundi. Franchement à ce niveau c’est de l’exploitation pure et simple : un soir où j’e lui ai dit que je voulais partir à l’heure le Landru. Un soir. Aaah c’est chaud. Il m’a gardée plus tard que jamais le salaud. T’avais qu’à quitter ta femme connard, il faut pas s’étonner si j’ai d’autres fréquentations après m’avoir laissé poirauter comme une conne à Saint Tropez. Ah ! Quand je présenterai mon apollon à la prochaine fête du bureau il va être vert de rage le Landru. Fallait quitter ta femme. Enceinte ! J’croyais qu’il y avait plus rien entre vous. Il m’a bien prise pour une débile. Cette garce. Elle fout rien de ses dix doigts. Passer son temps en institut de beauté ça mérite l’amour ça ? » ***
Voici donc la preuve d’une certaine diversité au sein des ateliers…Le maître mot est de se lâcher alors bien sûr c’est comme dans tout, certains pensent alors que tout est permis et qu’on peut agir en écriture comme en alcool. Il y a dès lors des excès qui ont bien vite le goût du vomi.
Mon conseil, si vous doutez de vos capacités à assister à un atelier d’écriture dites vous bien que la simplicité et l’humilité seront toujours de précieux alliés et au mieux achetez vous l’incontournable livre de Jean Guenot « Ecrire ». Il vaut tous les ateliers du monde.
* technique littéraire basée sur l’absence d’engagement de l’auteur et de style avec phrases simplissimes et concrètes.
** discours sans auditeur et non prononcé par lequel un personnage exprime sa pensée la plus intime.
*** retranscrit avec les fautes d’orthographes originelles.