dimanche, mars 12, 2006
Enfer en toc
Après avoir malencontreusement échoué sur les rives souillées du Paradis de Mitch Albom, quoi de mieux que d’aller se retaper la fraise en allant toquer aux portes du malin voisin Lucifer afin de voir si l’herbe y pousse plus verte ?
Le constat y fut brutal et sans appel : On s’ennuie autant en enfer qu’au paradis.
C’est cependant en bon commercial que Satan lui-même m’a recommandé les deux blockbusters de la saison, sans cucuteries, sans sentiments frelatés, du pur du vrai du consommé, des trucs d’enfer.
- « Très chère Chutney, mettez-vous à l’aise et dégustez avec vos doigts ce formidable roman, entre nous, c’est une commande du patron, vous allez voir le petit Jésus en culotte de velours ! » Mon supplice commençait. Je devais ingurgiter cette bouillie infecte distillée sur 507 pages, un bouquin que Victoria Beckham elle-même aurait pu renier si elle avait appris à lire.
Plus de 5 millions d’exemplaires vendus, autant de cervelles en déroute (dont la mienne).
Il s’agit bien entendu de l’inénarrable « Le diable s’habille en Prada » bientôt suivi du tome 2 « Ta mère en string Gucci au Prisu ».
Quelle étonnante sensation ? L’impression de boire en intraveineuse les eaux du Léthé*, une page tournée, une page oubliée, un chapitre terminé, un chapitre envolé et ainsi de suite.
Bien sûr, l’habit ne fait pas le moine mais le diable, même habillé en Prada, ça fait vraiment travelo.
Et là, j’entends les voix qui s’élèvent :
- « Dites donc Chutney ! Vous critiquez, vous critiquez c’est bien gentil mais après tout, qui vous force à lire jusqu’au bout des livres qui ne vous plaisent pas ? Sadique ou masochiste ? »
Et bien je vous remercie de m’avoir posé la question. C’est que pour bien dénoncer quelque chose, il faut en avoir fait le tour. Je suis un peu le Zorro de la bibliothèque, je traque ceux qui n’y ont pas leur place. A la lettre W, je libère Max Weber et Oscar Wilde de cette Lauren Weisberger afin qu’ils puissent reprendre leur conversation entre personnes de bonne compagnie, je préviens la collègue, la sœur, l’amie des affres de telles lectures et redirige l’achat d’impulsion vers des rivages plus sains : Gary, Gide, Green, Gogol…
J’espère répondre à votre question.
507 pages plus tard, Satan, voyant ma moue incrédule et mes traits tirés vers le bas me sortit de dessous son froc, sa botte secrète.
- « Pour la modique somme de 10 euros, je vous donne à voir l’histoire de vies que les paradis (fiscaux ou artificiels) n’ont pas réussi à rendre heureuses. Pour cette somme je vous donne, l’adaptation au cinéma du best seller de la romancière Lolita Pille, du shopping avenue Montaigne, des soirées au champagne, de la poudre aux yeux et des repoudrages de nez, du V8 hurlant aux feux rouges, des cris, des pleurs, des interrogations existentielles épaisses comme des sandwichs SNCF, des conversations animées, des Montblanc qui fuient et des Dupond en panne d’essence, des peelings à l’acide glucolique, du Botox, du etc etc etc etc. »
Après une heure et demie de dithyrambe satanique, je m’étais endormie.
* fleuve mythologique de l’oubli
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