Cette semaine à l'atelier d'écriture, nous avons abordé une fois de plus le nouveau roman mais cette fois sous le jour de Nathalie Sarraute et de son célèbre ouvrage"Tropismes".
En s'inspirant de cette auteur, nous avons eu la lourde tache de tenter à notre tour de retranscrire ces petits moments de l'existence où, au cours d'une conversation se glisse un mot, une phrase anodine qui vient vous heurter de plein fouet. Vous voilà destabilisé, incapable d'émettre la moindre protestation. Voici en avant première mondiale ma version des faits :
"« Tu dois savoir ça, toi qui n’est pas de Paris ? »
La sentence est tombée. Implacable. Glacée comme un couperet. Sèche et sans bavure. Générant une fugace sensation de fraîcheur dans la nuque si bien décrite par le père Guillotin.
Un souffle frais, disons le tout net, aussi bref qu’une gifle donnée sans élan. Puis, ce petit vent passé, votre tête devient rapidement lourde, si lourde qu’elle en tomberait, viendrait rouler au sol dans un bruit mat puis finirait sa course telle une toupie folle pour s’échouer enfin dans une bassine en zinc assez peu confortable cela va sans dire.
Vous avez beau vous ingénier à libérer de-ci de-là quelques grossières gerbes vermillon mais il est bien trop tard pour esquisser une quelconque désapprobation.
Vitupérer ou contester, là n’est plus la question car comment s’y prend-on lorsque sa tête vient d’être privé de son support ? Et quelle gestuelle de protestation adopter lorsque son corps n’a plus toute sa tête ?
A quoi bon tenir tête lorsque le corps n’y est plus c’est pas la peine d’aller chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien. S’entêter pour finalement devenir la tête de Turc d’une tête à claques, le jeu en vaudrait-il vraiment la chandelle ?
D’autant que cette question posée comme une sentence a disparu de la conversation aussi vite qu’elle y est apparue.
Si au moins un silence compassé avait été judicieusement disposé à la suite de ce point d’interrogation, signifiant là l’attente d’une réponse, mais non ! D’un même souffle votre interlocuteur a rebondi sur votre corps chancelant s’en servant là d’appui, de piédestal.
Si l’occasion vous avait été donnée vous auriez pu d’un ton très solennel répondre que « non, vous ne savez pas » mais alors si vous ne savez pas et qu’en plus vous n’êtes pas de Paris, mais qui êtes vous ?
Un manant, un anarchiste ? Hibernatus ou martien ? Anachorète ou mongolien ?
Et si vous savez, vous qui n’êtes pas de Paris; que se passe t’il alors ?
Se rachète t’on, pour autant que cela soit encore possible ? Vaut-on tout à coup mieux qu’un parisien ou marquons nous là l’attendue différence qui oppose à jamais la tête de chien du parisien à la tête de veau du pèquenaud.
Savoir, c’est avouer. Ignorer, se désavouer.
Peu de place donc pour les techniques d’autodéfense. A la rigueur la feinte bien connue de l’indifférence pourrait-être employée seulement pour se faire, il faudrait encore pouvoir simuler or je vous rappelle que dans votre regard vitreux, là, pale comme une endive dans le fond de votre bassine en zinc, vous ne fait ni illusion ni concurrence aux apprentis comédiens de l’Actor Studio.
A la manière d’un poulet à qui l’on vient de trancher la tête, vous voilà trottinant de droite et de gauche, fuyant l’évidence, refusant obstinément de vous rendre, luttant amèrement contre les lois de l’existence terrestre d’un air goguenard et pathétique.
Comme cette poule émouvante dans sa détresse, vous voilà réduit à un simple état de nerf. Et c’est bien là tout le fond du problème, vos nerfs.
Sans eux, vous n’auriez pas été contraint de rester là en apnée, vous auriez pu réagir convenablement et pour une fois, tenter d’être à la hauteur.
Mais c’est qu’avec une tête en moins on se sent pour le coup bien diminué surtout si en plus, on ne sait pas, et qu’on n’est pas de Paris. Parce qu’au moins à Paris, la question ne se pose pas. D’ailleurs on ne se pose pas de question à Paris ou alors juste comme ça pour vérifier qu’on connaît la réponse ou pour piéger un pigeon voyageur.
Paris ville lumière. Paris, ville des lumières. Comment l’oublier ?
D’autant qu’ailleurs, il fait nuit. On s’y éclaire à la bougie et on se serre les uns aux autres pour se tenir chaud l’hiver.
C’est que chez nous les livres, on les brûle. C’est un combustible pour le corps, pas pour l’esprit.
Bon, voilà votre interlocuteur qui cherche votre regard. Et d’ailleurs vous aussi agenouillé près de la grande bassine en zinc vous voilà cherchant à tâtons ce qui pourrait bien être vous.
Vous enfin ! Pauvre ère tentant de revisser tant bien que mal sa triste figure sur le reste de son anatomie…
Vous clignez des yeux, remuez la bouche, testez vos réflexes accentuant mille mimiques pour désengourdir vos nerfs tant et si bien que votre interlocuteur aussi dubitatif qu’éberlué face à ce visage grimacié, tourne les talons en se disant rasséréné que décidément non, vous n’êtes pas comme tout le monde."
jeudi, avril 27, 2006
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4 commentaires:
Ecriture très riche et divertissante. J'aime beaucoup votre style.
Dommage qu'on ne peut plus vous lire depuis un petit bout de temps ! Auriez-vous abandonné votre blog ?
Cher Idiolecte,
Merci de ce message qui m'incite a revenir sur le devant de la scène bloguesque. C'est le message de soutien que j'attendais sans me l'avouer. Merci!
franchement, je suis plutot un partisan du delayage... a force d'ecrire avec mille details, on ennuie le lecteur- surtout en France-, on finit par ecrire pour ecrire, on fait de la litterature dans son sens le plus bourgeois du terme... trop de jeunes gens pensent pouvoir ecrire comme Proust, Faulkner ou Woolf et au final, c'est la cata'... la prochaine fois, privilegiez le roman policier; phrases seches, courtes, cliniques, a la Manchette, et ça permet deja de savoir si on peut faire un bon artisan, puis creuser dans cette voie et votre personnalite trouvera a s'exprimer seulement a ce prix-la: " 7h du matin, personne dans l'escalier,Chtuney couchee a terre dans une mare de sang, a cote d'elle un calibre .38 9 mn, arme reglementaire de la police, arme du crime."
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